Elle me confirma que c’était un problème connu dans le système scolaire de son pays mais que personne n’avait réellement trouvé de solution. Je passais la nuit avec Rahela qui me raconta son aventure avec sa jeune patiente, et les remords qu’elle avait eus au début, en réalisant la ressemblance avec sa petite sœur. Nous nous sommes aimées jusqu’au petit matin. Je lui laissais ma voiture pour qu’elle m’emmène à l’aéroport. J’ignorais pour combien de jours je serais absente. À mon arrivée, c’est Armance qui m’accueillit à ma descente de l’avion. Elle avait eu une idée qu’elle voulait m’exposer. Elle se dirigea vers les faubourgs de la ville et elle me fit entrer dans un bar un peu louche. Beaucoup de motos garées devant, cuir et chaînes pour la tenue vestimentaire de la plupart des consommateurs. On s’installa à une table et elle commanda deux bières. Quand nous fûmes servies, par un barbu tatoué, elle m’expliqua son plan. Tout d’abord, le lieu, ce bar, connu pour être le point de rassemblement pour bon nombre de motards, et sans doute aussi des gens bien peu recommandables. Son mari, après leur séparation, s’était acheté une moto puissante et ce bar était son point de rendez-vous. Il était décédé depuis longtemps mais il lui avait affirmé qu’elle trouverait toujours quelqu’un pour l’aider ici. Quelle que soit la demande. Armance y avait repensé juste après mon appel.
Uniquement des hommes dans le bar, certains avaient vraiment des mines patibulaires. Je reste persuadée que plusieurs mecs nous avaient prises pour des bourgeoises en mal de sexe et cherchant l’aventure dans les bras d’un mauvais garçon. Un homme, malgré tout, attira mon attention. Il semblait diamétralement opposé aux autres. Vêtu de cuir tout de même, il semblait plus instruit, plus posé que les autres. C’est sans doute également le seul qui ne portait aucun jugement sur nous. À un moment, il leva les yeux et croisa mon regard. Je lui fis, comprendre par des gestes, que nous souhaitions lui parler. Il vint nous rejoindre et une conversation s’engagea entre Armance et lui. Elle me traduisait succinctement l’essentiel de leurs échanges. C’est alors qu’il se mit à parler dans un français impeccable. La langue française et les grands auteurs classiques sont très appréciés en Roumanie et très souvent étudiés en cours. J’étais heureuse de pouvoir aussi participer à la conversation. Armance lui avait expliqué le problème. Il semblait lui aussi bien connaître le système scolaire du pays et ses inconvénients. Il nous parla d’un groupe de personnes, spécialisées dans la défense des droits de l’enfance et des femmes. Un groupe sans réel statut public, mais qui pouvait aider à résoudre bon nombre de problèmes.
Armance lui laissa un numéro de portable pour la réponse et il nous confirma qu’il allait se rapprocher de ce groupe pour lui exposer notre problème. Elle m’emmena ensuite à l’école de Sabina. Je tenais absolument à rencontrer ce pervers et lui faire savoir que la jeune fille n’était pas isolée et sans défense. Petit et grassouillet, le regard fuyant, voilà ce que je retenais de cette rencontre. Sabina était présente également et elle se sentait véritablement soutenue dans la situation inextricable où elle était. Durant l’entretien, elle tenait ma main pour se rassurer. Je la voyais bomber le torse et se tenir bien droite, la tête haute. En aucun cas, une attitude de jeune fille soumise. Armance était retournée à son travail, je restais seule en ville à me promener. Vers 16 heures, retour à l’école et je raccompagnais Sabina chez elle. Les parents étaient toujours heureux de me revoir et d’avoir des nouvelles fraîches de leur fille. Le papa fut très heureux de m’apprendre qu’il avait trouvé un travail. Le seul inconvénient, c’est qu’il devait partir toute la semaine, et ce n’était pas payé très cher, mais un grand pas pour lui et sa famille. Je prenais congés pour rentrer chez Armance. Sabina me raccompagna jusqu’au bus, se tenant à mon bras tout le long du chemin. Au moment de se dire au revoir, ses lèvres se posèrent tout près des miennes, ce qui n’était pas pour me déplaire, mais qui me surprit un peu. Après le souper, Armance reçut un SMS qui nous donnait rendez-vous le soir même dans un entrepôt.
Celui-ci se situait dans un quartier très peu recommandable de la ville et Armance voulut que je sois prévenue des risques. Sans être vraiment téméraire, je lui affirmais que je prenais ce risque si elle le prenait elle aussi. Lui rappelant tout de même que c’est Sabina qui était la plus en danger dans la situation qui nous préoccupait. Avant de partir, elle me donna une bombe anti-agression, elle aussi en avait une dans son sac. La route se fit en silence jusqu’à l’entrepôt. Une lumière blafarde éclairait la seule porte visible, pas un seul véhicule à part le nôtre. Il était l’heure du rendez-vous et on poussa la porte. Deux hommes nous accueillirent et ils nous demandèrent si nous étions armées, Armance leur répondit et ils vérifièrent dans les sacs avant de nous emmener dans une grande salle. Seule la partie où nous étions debout était éclairée, dans l’obscurité, on apercevait une table et des personnes assises tout autour. Une série de questions fut lancée par une voix, puis un homme intervint en français. Les autres questions furent posées dans cette langue que tous semblaient comprendre.
Armance avait expliqué la raison de notre visite. On nous demanda à quel titre nous intervenions. Cette question m’était adressée personnellement et je répondis que Rahela, la grande sœur de Sabina, était mon amie et qu’elle m’avait demandé mon aide. Armance expliqua qu’elle travaillait également dans l’enseignement et que c’est un problème qui la touchait personnellement. Elle aussi avait rencontré des jeunes filles qui avaient dû subir ce traitement indigne de la part d’un professeur. Le lieu de ce rendez-vous ainsi que leur façon de nous interroger ne nous mettaient pas du tout à l’aise. Jusqu’à ce qu’une femme prenne la parole.