« Tu n’as pas d’amis ? »
« Si, évidemment. Mais ils seraient tous d’accord avec le patriarche. »
« Si tu me fais confiance, je pourrais t’accueillir chez moi. En tout bien, tout honneur. »
Malika resta silencieuse un long moment en me regardant intensément. Puis, elle poussa un long soupir et elle retourna vers la réserve. Elle disparut et je retournerais vers ma voiture. Elle avait pu vider toute la rancœur qu’elle avait en elle. Et elle n’avait pas trouvé de solution à son problème. À moins de me faire entièrement confiance. Ce que, j’imagine, devait être très compliqué pour une jeune fille. La nuit commençait à tomber lorsque je démarrais ma voiture. Je m’apprêtais à manœuvrer lorsque je vis une ombre sortir du bâtiment. C’était Malika qui venait en courant vers moi.
« Je finis mon travail à 20 heures. Gare-toi un peu plus loin, sur le parking là-bas. Je monterais à l’arrière de ta voiture et tu démarreras, sans un mot pour moi. Si tu ne viens pas, je comprendrais. »
Et elle repartit en courant, comme elle était venue. J’avais une bonne heure à attendre et j’allais me poser dans un bar tout proche. Une bière pour réfléchir à ce à quoi j’allais m’engager. Il est vrai qu’elle me plaisait énormément. Et que son histoire me touchait beaucoup. Si je ne l’aidais pas, elle partirait sans espoir de retour. Je sentais les ennuis arriver mais je n’avais pas d’autres choix. Dans tous les cas de figure, je savais que j’allais la perdre. En tant que son « sauveur », il ne pourrait plus rien se passer entre nous. Je repris un verre de cognac pour me donner le courage d’accomplir ce que j’avais décidé. Depuis bien longtemps déjà. J’étais garé là où elle m’avait demandé, dix bonnes minutes avant l’heure dite. Je scrutais l’obscurité mais je ne voyais rien bouger. Combien de temps devrais-je attendre avant d’être sûr qu’elle ne viendrait plus ? Perdu dans mes pensées, j’ai faillis manquer cette petite lueur fugace. Une porte s’était ouverte, et refermée aussitôt. Était-ce un signe ? Deux minutes plus tard, une ombre s’approcha de la voiture, ouvrit la porte arrière et s’allongea entre les sièges. J’allais ouvrir la bouche quand je me rappelais des consignes. Je démarrais et commençait à rouler doucement. Arrivé à la hauteur du magasin, deux hommes en sortirent. Ils semblaient chercher quelque chose, ou quelqu’un. L’un d’eux me fit signe d’ouvrir ma fenêtre et il sentit immédiatement mon haleine alcoolisée. Quand il me demanda ce que je faisais là, je lui répondis que j’avais besoin d’un peu de repos avant de poursuivre ma route. L’autre homme avait fait le tour de ma voiture, sans rien trouver de suspect. Ils me laissèrent passer et je roulais loin d’eux. Arrivé en bas de chez moi, je demandais quelques minutes de patience à ma passagère clandestine. Un voisin promenait son chien. Lorsqu’il fut hors de vue, j’aidais Malika à quitter le véhicule et je la guidais jusque chez moi. Elle était enfin en sécurité. Je lui montrais aussitôt la chambre d’amis qu’elle occuperait, et je passais la clé à l’intérieur de la chambre, qu’elle puisse dormir en tout confiance.
Je ne l’ai pas revue, le matin suivant, j’ai supposé qu’elle avait besoin de dormir et de profiter pleinement de sa nouvelle liberté. Je suis parti travailler et, en rentrant chez moi, rien n’avait bougé. Il me semblait qu’elle n’était pas encore sortie de sa chambre. Je préparais le dîner, deux couverts sur la table, et j’allais frapper à sa porte pour lui dire que le repas était prêt, si elle voulait venir. Pas de réponse. Je commençais à manger seul lorsque la porte s’ouvrit doucement. Elle entre dans la cuisine, tête baissée, et s’installa à sa place. Elle hésitait encore à se servir, c’est donc moi qui ai rempli son assiette. Steak haché et purée. J’ai enfin entendu sa voix lorsqu’elle m’a dit « Merci », avant de dévorer son repas. Son appétit faisait plaisir à voir. Mais elle restait très réservée. Sans doute peur de ce que j’allais lui demander en échange du gîte et du couvert. Je pouvais comprendre son désarroi, elle qui avait toujours vécu comme une esclave, sous l’autorité d’un père intransigeant. Elle avait enfin osé faire un choix, prendre seule une décision. Mais elle pensait désormais aux conséquences. À la fin du repas, je lui ai demandé de me suivre jusqu’à la salle de bain. Je lui ai montré où trouver les produits, ainsi que les serviettes pour s’essuyer. Je l’ai laissée seule, un peu désemparée. Je l’ai entendue fermer la porte au verrou et, plus tard, j’ai entendu l’eau de la douche couler. J’ai commencé à faire la vaisselle lorsque l’eau de la douche s’est arrêtée. J’étais assis sur le canapé lorsqu’elle est revenue au salon. Toujours habillée des mêmes vêtements. Tout en regardant le journal télévisé, j’avais sorti l’ordinateur portable, posé sur la table basse, devant moi. Elle s’est assise sur le canapé, le plus loin possible de moi. J’ai ouvert un navigateur Internet pour aller sur la page d’un magasin de vêtements bien connu. J’ai tourné l’ordinateur vers elle, en lui disant.
« Je suppose que tu n’as pas la possibilité de retourner chez toi pour récupérer quelques vêtements. Choisis tout ce dont tu as besoin. Et pas d’inquiétude pour ce que cela coûtera. Tu ne peux pas rester éternellement avec ces mêmes habits. »
Je ne faisais pas référence à ses sous-vêtements mais elle avait dû remette exactement la même tenue qu’elle portait depuis deux jours complets. Elle a mis du temps à se décider, à prendre l’ordinateur, mais avait-elle le choix ? Elle a choisi ce qu’elle voulait et j’ai finalisé la commande. Deux jours à attendre, encore. Je suis allé me coucher en lui souhaitant une bonne nuit. Et je l’ai laissée seule. Je travaillais tôt, le lendemain. Comme je finissais de bonne heure, je suis allé dans un magasin qui achetait et revendait les articles que nous n’avions plus besoin. J’ai trouvé un téléphone à carte, simple et fonctionnel. J’ai acheté une carte avec une heure de crédit, afin qu’elle puisse téléphoner à sa famille, pour la rassurer, expliquer les raisons de sa fuite.