HELENA (01/05)

Après mon premier voyage en Grèce, début Avril, les amis de nos clients que j’avais rencontrés sur place s’étaient finalement décidés eux aussi à commander un véhicule chez nous. Moins exigeants que leurs amis, la voiture était prête à livrer. Ils avaient demandé expressément à ce que ce soit moi qui livre la voiture en main propre.

Même parcours que précédemment et arrivée de nuit dans le même hôtel. Je devais livrer le véhicule le lendemain mais ils m’avaient prévu une surprise. Ils avaient beaucoup parlé dans leur entourage de cet achat et nombreux de leurs amis étaient intéressés également. Ils avaient donc prévu un rendez-vous global, une sorte de conférence, où je présenterais les différentes options que nous pouvions ajouter à un véhicule de base.

Sans me prévenir, bien évidemment. Mais je m’étais préparée à toute éventualité et j’avais bien étudié les différents aspects, suivant le profil des clients. Au juste, c’était mon rôle en tant qu’attachée commerciale de connaître tous nos produits et services. Je leur livrais donc leur véhicule à l’adresse de leur société le lendemain. Dès le contrat signé, ils m’expliquèrent qu’ils avaient convoqué une trentaine de leurs amis, eux aussi intéressés.

Ils m’emmenèrent dans une salle de réunion où tout le monde m’attendait. Mes années d’université m’avaient préparée à toute éventualité et j’avais, par habitude, préparé une présentation, un PowerPoint, sur clé USB. J’insérais la-dite clé dans l’ordinateur, branché sur le rétro projecteur et lançais le programme. Un réel silence accueillit cette présentation. Mes clients étaient subjugués. J’avais réussi à bien tout leur expliquer lors de notre première rencontre, mais cette façon de présenter les options leur plaisait encore plus.

Comme toutes les personnes présentes. À la fin, de nombreuses questions auxquelles je répondais avec l’aisance de la commerciale qui connaît parfaitement ses produits, et services. À leurs yeux, je voyais au moins dix personnes qui commanderaient certainement un de nos véhicules. Mes clients aussi étaient contents d’avoir pu faire plaisir à leurs amis et contacts de travail. Ils m’invitèrent le soir même à dîner, dans un grand restaurant du centre-ville. Invitation que j’acceptais, évidemment.

Avant de quitter Nice, j’avais bien sûr téléphoné à Jacinta pour lui dire que je retournais à Athènes. On se retrouva dans un bar du Vieux-Nice et elle me confia qu’elle était heureuse, comblée même. Tenir compagnie à Liliane n’était pas une corvée, loin de là. Mais elle avait des remords d’avoir laissé ses amies sans nouvelles.

L’une d’elles, surtout, Helena. Elle suivait le même cursus qu’elle, mais n’avait pas la chance d’être logée gratuitement, comme elle l’avait été. Helena passait donc tout son temps libre, et quelquefois plus, au belvédère. Jacinta l’aidait à rattraper les cours auxquels elle n’avait pas pu assister. Mais maintenant qu’elle n’était plus là, elle craignait que son amie ne plonge irrémédiablement dans la prostitution.

Je lui promis que je la contacterais et qu’elle pourrait lui parler, via mon téléphone. Elle me l’avait décrite et surtout, elle m’avait donné des lieux où la trouver facilement. Je me mis donc en quête de son amie dès que je sortais de mon rendez-vous.

Le premier lieu, mis à part le belvédère, où je pouvais la trouver facilement était le petit bar où elle m’avait emmenée. Lieu de rendez-vous des jeunes, des étudiants. Helena venait très souvent manger ici, son frère y servait et elle payait rarement son repas. Système débrouille.

Grâce à la description précise que m’avait faite Jacinta, je la repérais facilement, assise à une table, au fond de la salle.

« Bonjour, c’est bien toi qui t’appelle Helena ? Helena G. ? Je suis une amie de Jacinta. C’est elle qui m’envoie ».

C’était bien elle et elle sourit en entendant le prénom de son amie.

 » Je m’appelle Emma. Enchantée de faire ta connaissance ».

Elle aussi parlait un français irréprochable. Je sortis mon iPhone et composais le numéro de Jacinta. Quand je l’ai eue en ligne, je passais l’appareil à Helena. C’est les larmes aux yeux qu’elle commença à discuter avec son amie. Dans sa langue maternelle, évidemment. Je ne comprenais pas un mot. En fait, Helena parla très peu, mais écouta Jacinta lui parler de moi, de sa nouvelle vie en France.

Au bout de 15 minutes, Helena me tendit mon téléphone. Jacinta me remercia de lui avoir permis de reparler à sa meilleure amie.

« Jacinta. Ne me remercie pas. C’est tout à fait normal. Dis-moi, tu te souviens de Nicole, l’amie de Liliane ? Elle aussi cherchait une jeune étudiante pour lui tenir compagnie, comme toi avec Liliane. Tu penses que Helena pourrait être intéressée ? »

Un long silence s’ensuivit. Je pense qu’elle avait les larmes aux yeux à son tour d’imaginer son amie à nouveau près d’elle.

 » Passe la moi. Je vais tout lui expliquer et lui demander. Je dis bien TOUT ».

Je repassais l’appareil à Helena et regardais son visage changer. Je suppose que Jacinta lui parla des « services » qu’elle devait rendre à sa bienfaitrice, mais qu’elle était payée pour cela. Et qu’elle pouvait continuer ses études ici, à Nice. Et que je connaissais une autre bienfaitrice qui cherchait elle aussi une dame de compagnie. Que, si elle était intéressée, elle devait le dire maintenant.

Je compris tout cela en regardant les diverses expressions de son visage. Elle me rendit mon téléphone après avoir salué son amie. Je lui dis au revoir à mon tour et raccrochais. Helena restait silencieuse, analysant le pour et le contre. Je tenais à préciser une chose importante.

« Helena. Je ne te juge pas, mais je sais tout pour le belvédère. C’est d’ailleurs là-bas que je suis allée chercher Jacinta. L’arracher à cette vie ».

 » Et si c’est la tâche de « dame de compagnie » qui te fait hésiter, sache que je peux te trouver un autre travail. Si tu es une bosseuse comme ton amie, tu t’en sortiras toujours « .

Enfin elle prit la parole. Sa voix était douce et feutrée.

 » Non, ce n’est pas ça, « dame de compagnie », Jacinta m’a expliqué et cela me va. Mais quitter mon pays, ma famille, mon frère. Jamais je n’y avais pensé ».

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