JACINTA (01/04)

Après ce week-end mémorable avec mes amies, le lundi fut un peu difficile. Un peu plus qu’à l’ordinaire. Sans compter qu’un de nos convoyeurs était en congé parental. En effet, sa femme venait d’accoucher et il devait s’occuper de ses enfants. Personne pour le remplacer, ce fut donc moi qui fus toute désignée pour convoyer le véhicule chez notre client. Joli voyage, me direz-vous. Aller livrer une voiture flambant neuve, et équipée spécialement dans nos ateliers, jusqu’à Athènes ferait plaisir à beaucoup de monde. Cela me contrariait un peu, puis je me dis que, après tout, cela serait une nouvelle expérience.

Tout le trajet était déjà opérationnel. Les haltes prévues, les différentes réservations nécessaires. Je dois vous expliquer un peu le pourquoi de cette livraison spéciale. Notre client, un armateur grec très riche, voulait acquérir une nouvelle voiture, mais équipée spécifiquement. Renseignements pris au siège social à Munich, notre société pouvait préparer le véhicule suivant ses demandes et le livrer en mains propres. Les équipements demandés concernaient surtout sa sécurité. Vitres et portes blindées, vitres teintées, pneus anti-crevaison et autres équipements plus spécifiques que je me dois de vous cacher.

Le responsable de l’atelier me téléphona vers 6 heures 30 pour me demander d’être présente à 8 heures à l’atelier. Il me connaissait parfaitement et savait que je serais déjà réveillée. Il m’expliqua qu’il n’avait personne d’autre de confiance pour effectuer cette livraison. À l’heure dite, j’étais avec lui, dans son bureau, pour les consignes de sécurité.

La première nuit, je la passais à Brindisi, en Italie. Le lendemain, direction le ferry pour dix heures de traversée jusqu’à Igourmenitsa, en Grèce. Je roulais ensuite jusqu’à Missolonghi où mon hôtel était réservé. Le lendemain, j’arrivais à destination pour livrer le véhicule. Une dernière vérification devait être effectuée par une équipe d’experts choisis par le client pour tout contrôler. On m’expliqua qu’ils recherchaient toute trace de mouchards qui auraient pu être installés à mon insu.

Je retournais à l’hôtel le temps de cette vérification. Le jeudi matin, je rencontrais enfin le client pour la signature, certifiant que tout était conforme aux demandes. En arrivant chez lui, en taxi, je vis sortir une jeune fille, habillée simplement. Elle me fit bonjour d’un signe de tête et continua son chemin.

Après la signature avec mon client et sa femme, il me proposa de fêter cela. Je ne pouvais pas refuser, évidemment. De plus, mon retour par avion était prévu pour le lendemain. Le couple était vraiment sympathique et ils insistèrent pour que je dîne avec eux. Des amis à eux souhaitaient aussi acquérir une nouvelle voiture et ils souhaitaient me les présenter.

Tout en discutant, je leur parlais de la jeune fille que j’avais aperçue en arrivant. Sa femme me répondit que c’était une cousine éloignée qui étudiait à l’Université d’Athènes. Son prénom : Jacinta. Ses parents habitaient loin de la ville et ils avaient accepté de la loger gracieusement dans une dépendance. D’ailleurs, elle serait également présente au cours de ce dîner, afin que je ne sois pas entourée que de vieux. Je la remerciais en ajoutant qu’elle n’était pas si vieille que cela. C’est vrai qu’elle était bien conservée. Les millions, ça doit aider. Au vu de son rang, elle se devait de rester présentable, et même un peu plus.

Je profitais de mon temps libre pour visiter cette ville magnifique. Une voiture vint me chercher le soir pour me conduire chez le client vers 19 heures. Tout le monde était arrivé et on passa rapidement à l’apéritif après les présentations. Les amis du client me posèrent énormément de questions sur les options que l’on pouvait ajouter à un véhicule de base. Je répondais du mieux possible, ayant été briefée succinctement par le chef d’atelier que j’avais contacté par téléphone. Puis on passa aux sujets d’actualité, les élections présidentielles en France entre autres, ou l’élection de Donald Trump aux USA. Jacinta restait toujours très près de moi et quand je fus moins sollicitée par leurs questions, nous avons enfin pu faire connaissance.

Elle parlait très bien le Français. Elle poursuivait des études en langues étrangères, Français, Anglais et elle commençait le chinois, le mandarin plus précisément. Elle était parfois exubérante quand elle parlait de ses études, d’autres fois, son regard s’attristait pour se fermer intégralement. Je lui prenais la main chaque fois et son sourire revenait illuminer la pièce. Elle me confirma qu’elle avait beaucoup de chance d’être logée gracieusement, toutes ses amies étudiantes n’avaient pas cette possibilité. Et devaient subvenir souvent seules aux frais liés aux études. Loyer, repas, livres, …

Elle avait trouvé un petit boulot en tant que baby-sitter, grâce à sa cousine également, et donc, quelques soirs par semaine elle se rendait chez ses patrons d’un soir, souvent riches. Voire très riches. Cela lui permettait d’envoyer un peu d’argent à sa famille qui en avait cruellement besoin. Mais le plus souvent, elle parlait de son avenir, du métier d’interprète qu’elle voulait exercer, pourquoi pas à Bruxelles, au sein de la commission européenne ?

Son regard pétillant et sa joie de vivre faisaient vraiment plaisir à voir. Au moment de partir, elle proposa de m’accompagner jusqu’à mon hôtel, à pied. La nuit était douce et le quartier très calme. Tout le temps du trajet, on continua à parler, enfin elle surtout, et moi je l’écoutais. Arrivées à mon hôtel, il fallut bien se résigner à se quitter enfin. Je la serrais longtemps dans mes bras, sans oser l’embrasser sur les lèvres. Je lui donnais ma carte de visite avec mon téléphone et mon courriel. Elle m’expliqua que, depuis la bibliothèque de l’Université, elle pourrait correspondre avec moi et garder le contact si, au cas où, je revenais ici.

La nuit fut longue et le réveil difficile. Je n’avais pas cessé de penser à elle et son sourire m’apparaissait chaque fois que je fermais les yeux. Un appel venant de l’aéroport m’apprit que mon vol était retardé de trois heures. Cela me donnait le temps d’aller dire au revoir à Jacinta. Je téléphonais chez elle et on me dit qu’elle a dû partir plus tôt afin de se rendre à la bibliothèque pour un travail de groupe. J’appelais un taxi et filais directement pour la rejoindre. Elle sortait de ce grand bâtiment au moment où j’arrivais. Ne voulant pas crier son prénom et nous faire remarquer, je la suivais rapidement en essayant de la rattraper. Mais elle marchait très vite et disparut un court instant hors de ma vue. Nous étions sur une hauteur et elle avait pris l’escalier menant à un belvédère.

Je stoppais en haut de cet escalier et mon cœur se noua quand je compris ce qui se passait à cet endroit. C’était une sorte de rond-point avec un parking face à la ville en-dessous. Autour de ce rond-point, des dizaines de filles attendaient que les voitures s’arrêtent à leur hauteur. Le plus souvent, la fille montait et la voiture roulait jusqu’au parking. Encore un stop, plus long celui-là, tandis que je voyais la voiture tanguer dans tous les sens.

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