Banlieue proche de Dijon. Un immeuble un peu vieillot de quatre étages, faisant partie intégrante d’une barre d’immeubles. Comme dans toutes les villes de France, et d’ailleurs je suppose, beaucoup de locataires issus de l’immigration, pas très aisés financièrement. Évidemment, pour permettre l’intégration et éviter les ghettos, quelques français vivent aussi ici.
J’en fais partie, arrivé de ma campagne dans la grande ville, c’est le premier logement social que j’avais trouvé. Je m’y plais et je n’ai jamais eu envie de déménager, même si ma situation financière a bien évolué depuis mon arrivée.
J’avais suivi une formation AFPA de Technicien Supérieur en Systèmes d’Information (TSSI). Après un stage de trois mois au Conseil Départemental, j’avais trouvé un contrat de six mois à la Préfecture de Dijon. J’ai ensuite été intégré au SIDSIC 21, le service informatique de la préfecture. Et titularisé un an plus tard.
J’habitais seul un T2 au premier étage, Mourad et sa famille vivait au troisième étage, au-dessus de mon appartement. Au deuxième étage, entre Mourad et moi donc, vivait un veuf avec qui je parlais parfois. Il vivait ici depuis très longtemps et connaissait tout le monde, il avait toujours une anecdote à raconter sur les uns ou les autres de ses voisins.
Mourad, par exemple, était arrivé du Maroc avec sa famille. Il n’avait aucune autre personne de sa famille en France. Très peu d’amis également. Il vivait reclus, sauf pour aller travailler. Il était employé à l’entretien des espaces verts du Lac Kir.
Je prenais souvent le bus pour aller travailler, Mourad également. Je l’avais souvent croisé. Mais entre nous, c’était juste « Bonjour, Bonsoir ». Une simple relation de voisinage. Sa femme ne travaillait pas, mais s’occupait de l’appartement et des enfants. Fatiha était la plus âgée. J’appris, un peu plus tard, qu’elle avait quinze ans passés.
Nous sommes en Mars 2020. Covid 19, confinement pour presque tous. Mon service devait continuer à fonctionner pour fournir à tous les agents de la préfecture, et à ceux des directions départementales dont nous gérions le parc informatique, un ordinateur portable équipé d’un VPN pour travailler à distance. Les effectifs avaient donc été divisés en deux, une moitié en présentiel, l’autre en télétravail. Et ce, une semaine sur deux. Pour éviter de se croiser et les risques de contamination.
Mourad, lui, devait être confiné avec sa famille, son travail n’étant pas essentiel. Les écoles étaient fermées également. Je savais que certains élèves pouvaient travailler à distance, munis d’un ordinateur personnel. Ce qui ne pouvait être le cas de tous les élèves. Ceux qui étaient déjà en difficulté auparavant se retrouvaient fatalement en échec scolaire.
La rentrée de septembre se passa (presque) normalement. Difficulté de rattrapage pour certains. Fatiha était de ceux-là. Elle avait redoublé sa troisième et complètement raté l’épreuve du brevet. Elle avait besoin d’un soutien scolaire, ou d’un ordinateur personnel. Ou bien les deux.
Un soir d’Octobre, on sonna chez moi. C’était Fatiha, accompagnée de son papa. Il souhaitait me demander mon aide pour sa fille, elle l’accompagnait car il ne parlait pas très bien le français. Sur le principe, j’étais d’accord. Mais je ne voulais pas d’argent. Je me doutais que la situation financière de sa famille devait être précaire.
J’ai très vite compris qu’il n’accepterait pas mon aide gratuitement, je fixais donc un prix. 5 euros par leçon. En faisant cela, il ne se sentait plus redevable. Moi, j’avais décidé de mettre ses sommes de côté pour les offrir à Fatiha, quand elle obtiendrait son brevet. Sans le lui dire, bien sûr. Ce serait une surprise pour elle. Et une récompense méritée.
C’est par l’intermédiaire de mon voisin du dessus que Mourad avait eu connaissance de mes compétences en informatique. Il souhaitait simplement, au début, que j’aide sa fille à se connecter à l’application en ligne pour rattraper les cours où elle avait des difficultés. C’était pratiquement dans toutes les matières. J’avais une bonne connaissance d’Internet et je savais trouver l’aide nécessaire quand il le fallait.
Le lendemain, Fatiha arriva seule, évidemment, et juste à l’heure. Je voyais bien qu’elle n’était pas trop rassurée et j’essayais de la mettre en confiance, tout en gardant un certain recul, pour éviter le copinage prof-élève. Elle devait comprendre qui était le maître et qui était l’élève. Il lui fallut deux ou trois leçons pour se sentir un peu plus à l’aise avec son nouveau professeur.
Je ne pense pas être un maître d’école meilleur que les autres, qui ont suivi des études pour cela. Mais les progrès se voyaient réellement. Les notes étaient bien meilleures, les appréciations de ses professeurs surtout. Je crois qu’elle avait surtout besoin de quelqu’un qui soit à son écoute. Et c’est ce qu’elle avait trouvé en moi. Un guide, un confident, presque.
Mon travail (officiel) consiste à préparer les nouveaux ordinateurs quand ils sont livrés avant de les installer sur le poste de travail des agents. On récupère évidemment l’ancien poste, devenu obsolète. Ceux-ci sont épurés et mis au rebut. C’est ainsi que j’ai pu récupérer un vieil ordinateur portable avant qu’il ne soit détruit. Je devais simplement effacer toutes les données.
J’ai réinstallé un système Linux Mint à la place du système d’exploitation Windows et je l’ai configuré pour qu’il soit parfaitement opérationnel. Dans le même temps, Mourad m’invita à venir dîner chez eux et passer la soirée du samedi. Je savais qu’ils recevaient très peu de personnes.
J’acceptais, évidemment, et, pour ne pas venir les mains vides, je configurais l’ordi portable pour que Fatiha puisse l’utiliser chez elle. Un compte root et un compte utilisateur de base, comme tout ordinateur personnel devrait être configuré. Je savais que cela lui ferait très plaisir et elle méritait des encouragements pour continuer sur cette voie.
Comme vous devez vous en douter, Mourad a eu beaucoup de mal à accepter ce cadeau, j’ai dû insister sur le fait que cela ne m’avait rien coûté, seulement un peu de temps et quelques compétences. Ce présent était pour toute la famille, pas seulement Fatiha, même si elle était la seule apte à bien pouvoir l’utiliser.
Après cette soirée, la jeune élève venait me voir tous les soirs, même si elle n’avait que peu de devoirs. J’en profitais alors pour lui faire réviser les matières où elle avait plus de difficultés. L’histoire de France, le français et surtout les mathématiques. La géographie l’intéressait énormément, elle aurait aimé voyager. Les langues étrangères aussi, l’anglais principalement, où elle avait ses meilleures notes et les sciences naturelles, domaine où elle excellait.